Alban Hector Nathanaël Klyde n'était pas un saint. Malgré tout ce qu'on pouvait penser. Vous allez certainement rouler les yeux en disant que c'est l'hôpital qui se fout de la charité, étant donné que Serdaigle comporte une proportion de population intellote et pincée comme pas possible bien supérieure à celle des autres maisons. Vous avez raison. Comme vous avez tort. Cessons un peu d'être manichéen. Il y avait du mal dans le bien, et du bien dans le mal. C'est aussi simple que cela. Mais pour certains, ce n'était pas si évident que cela. En fait, certains étaient trop pétris par les préjugés et autres supputations pour oser regarder la vérité en face. Les Serdaigle passaient aussi le couvre-feu. Après tout. Tout Serdaigle qu'Alban était, il ne respectait pas forcément le règlement à la lettre. En parlant du règlement, il jugeait certains points futiles et sans intérêts. Ou d'une évidence affligeante. Article numéro 1: Il est interdit de se ballader dans les couloirs la nuit. C'est un fait. Mais qui, tout en étant honnête, peut affirmer avoir toujours respecté le couvre-feu envers et contre tout? Qui n'a jamais été tenté de se promener la nuit dans les couloirs, juste pour voir comment ça faisait de se promener la nuit dans le château? Personne. Et pas Alban. Tout Serdaigle qu'il était, il était un familier des déambulations nocturnes, et il ne s'est jamais fait prendre jusqu'à présent. Et si certains rétorquaient qu'il y avait toujours une première fois à tout, Alban haussait les épaules d'un air blasé et il répondait, légèrement moqueur "et alors?". Puis, comme généralement, les conseilleurs n'étaient pas les payeurs, ceux qui avaient critiqué le Serdaigle quelques jours auparavant se retrouvaient aussi dehors, à vadrouiller dans les couloirs bien après l'heure que le couvre-feu ne le permettait. Si c'était pas l'hôpital qui se foutait de la charité, ça. Bref.
Une chose est-il, c'est que pour le moment, Alban n'en avait que faire du couvre feu. Il avait envie de déambuler dans les couloirs la nuit? Trés bien. Qu'à cela ne tienne. Ce n'était pas deux ou trois lettres écrites sur un bout de papier estampillé par la direction de l'école qui allait l'en empêcher, surtout qu'il n'y avait pas âme qui vive dans le coin. Super. Alban se faufila hors de la salle commune une fois que cette dernière se fut vidée. Et puis il était excusable, il avait faim, horriblement faim. Et si il avait l'estomac vide, il ne répondrait plus de rien. C'était comme ça et pas autrement. Pigé? Bref. Restait à faire un petit détour par la cuisine, et ce sans se faire attraper par le concierge si il ne voulait pas passer un sale quart d'heure. Avant de franchir un autre couloir, il s'assurait qu'il n'y avait personne pour lui reprocher sa présence ici, ou encore sa tenue vestimentaire. Pour déambuler, Alban avait juste enfilé un t-shirt noir, large, et un jean de bonne coupe, comme il aimait les porter. Il n'avait pas pris la peine d'enfiler une paire de chaussures, après tout, ça n'avait jamais tué personne de se promener pieds nus par-terre. Après tout, il n'y avait pas de morceaux de verre brisés, et pas de plancher sur lequel il pourrait se choper une écharde. Alors quel est le problème? Aucun. Si ce n'est que l'heure tardive.
Alban jeta un regard furtif à son poignet, à la sempiternelle montre qu'il se traînait depuis des années, et, qui, par la force des choses, ne fonctionnait plus. Hector , son père,avait bien essayé de la réparer, mais rien n'y faisait. La montre du Serdaigle semblait s'être figée dans le temps, à 23h05 précises. Alban ne savait pas trop à quoi cette heure correspondait, et il ne voyait pas, pour une raison X ou Y, en quoi elle se serait arrêtée de fonctionner, hormis à cause d'un dysfonctionnement du mécanisme interne de la montre. Le tic-tac lancinant des aiguilles manquait parfois au jeune homme, mais c'était fait ainsi et il devait se faire à l'idée: la montre avait plus un but décoratif qu'une utilité réelle, pour peu qu'elle ait eu une utilité un jour. Car, avant qu'elle ne s'arrête, Alban ne se souvenait pas jeter des regards compulsifs au cadran, poussé par la force surnaturelle et toute puissante qu'était l'ennui pendant les heures de cours. Parce qu'à bien y réfléchir, c'était à ça que servait une montre. A s'assurer qu'il ne restait pas beaucoup de temps avant la sonnerie salvatrice. Du moins, c'était l'utilisation première qu'en faisaient les élèves, après, c'était une question de choix personnel. Bref. Une chose est-il, c'est qu'Alban, faute de montre qui fonctionne correctement, ne savait pas quelle heure il était, et du coup, il ne savait pas trop si il était pas loin de minuit, trois heures du matin, ou si l'aube allait se lever tantôt. A croire que les dieux étaient contre lui, (un comble, quand on sait qu'il est athée!) il n'y avait pas un fichu réveil qui fonctionnait dans son dortoir, et qui pouvait indiquer l'heure sans émettre une sonnerie stridente, qui donnait de l'urticaire quand l'heure programmée dans ces maudits appareils survenait. Bref. Alban était quand même sorti, parce qu'il avait faim. Et si on se fiait aux grondements impatients et mécontents de son sacro-saint estomac, il en déduisit qu'il était pas loin de...Deux heures du matin? Un rituel. Son estomac réclamait toujours de la nourriture dans ces eaux là.
Deux heures du matin ou pas, Alban était en vadrouille, son visage avait vraiment adopté un air rêveur et parfaitement je m'en foutiste. Qu'on vienne râler. Après tout, ceux qui ont fait ce fichu règlement étaient en train de dormir à poings fermée plutôt que de se rassurer du fait qu'aucun petit voyou, comme ils disent, ne transgressait les interdits. Quand le chat n'est pas là, les souris dansent. Alban voyait bien une de ces harpies bondir sur une chaise en criant à l'hérésie si jamais on ne respectait pas les institutions de l'école. D'abord, si ça se trouve, ceux qui ont édicté ce règlement grotesque sont en train de pourrir entre quatre planches, rongés par les vers. Alors où est le problème? Mis à part qu'un de ces gentils Serdaigles était en train de transgresser outrageusement le règlement, faisant un magnifique pied de nez aux sacro-saintes institutions. C'était pas beau ça?
Alban bifurqua dans un couloir, l'air nonchalant, les mains dans les poches. Quand il arriva à la cuisine, dont l'entrée était masquée par un tableau représentant une coupe de fruits. Un de ses contacts a indiqué qu'il fallait chatouiller la poire pour la faire rigoler. Réfrénant un fou rire devant une telle absurdité, le jeune homme fit exactement ce qu'on lui avait dit, en ayant légèrement l'impression d'avoir l'air idiot. Le tableau laissa entrevoir une porte, tout juste à sa hauteur. Le Serdaigle afficha un sourire, puis il s'engouffra à l'intérieur. Il fut accueilli par les elfes, qui étaient affairés à laver la vaisselle du repas du soir. Alban trouva un coin où se mettre, puis il commença à manger une part de gâteau au chocolat, qui était bien bon. Mais le hasard voulut qu'il ne se retrouva pas seul cette nuit là, dans les cuisines.
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