Il y a des instants où je me sens parfois comme un voyageur perdu par une nuit sans lune. Très seul, terrifié, aussi. N’y a-t-il pas de poids plus écrasant que celui du passé ? Le mien m’étouffe, me maintient face contre terre pendant que j’essaye de me relever. Je sais que je suis le produit de quelque chose d’atroce, quelque chose qui n’aurait pas dû être, mais je ne sais pas quoi. Tous ceux qui ont voulu me le dire ou m’aiguiller sur certaines pistes sont morts. Je marche sur le chemin de ma vie, qui est jonché de cadavres et souillé de sang. Le mien, le leur, au fond, ça n’a plus d’importance parce que le sang est rouge et que la terre l’absorbe pour en nourrir ses fleurs. Au final, ça ne sert à rien.

Il y a toutes ces traces sur mon corps qui ne veulent rien dire, qui ne sont pour moi que des volutes gravés pour toujours. J’ai retrouvé la seule personne capable de les déchiffrer dans une mare de sang, un pistolet enfoncé dans la bouche. Ce que l’on a bien voulu me dire, du bout des lèvres, sur mon île natale, je le savais déjà. Je ne saurais certainement jamais qui sont mes parents, pourquoi m’ont-ils abandonné aux mains démoniaques qui m’ont élevé ? Pourquoi ce silence ? Ces marques rebutent sans cesse les regards que je croise. Je suis le démon de leurs montagnes et de leurs légendes … On m’a crée pour faire peur. Je suis un monstre, le loup crachant le feu, le dragon volant dans les nuages, le serpent nageant dans la boue, je suis leur terreur et leur cauchemar. Je suis une Chimère, mi-humain, mi-créature.