« Qu’est-ce que tu fais ?
- Eloigne-toi. » répondit-il calmement, ses prunelles océanes persistant sur les écailles de la créature qui paraissait à moitié endormie à ses pieds, lui penché sur elle sans craindre quoi que ce soit. Et pourtant, loin de vouloir lui tenir tête, Lin recula sans ajouter un traître mot… après tout, le souffle d’un dragon était dangereux pour tout le monde, sauf lui.

Il était différent, ne subissant pas la colère des flammes comme tout un chacun, sa peau paraissant y résister avec une facilité dérisoire, comme si elle absorbait la tentative inespérée de l’élément en question. Ainsi, comment douter lorsque l’on vous disait qu’il avait un don avec ces créatures, qu’elles l’acceptaient plutôt facilement quand il s’agissait de les soigner. Il en avait rapidement fait son métier, soigner, dresser… quelle différence après tout, les cours étaient allés en ce sens de toute manière, et il était excellent dans son domaine, et ce quelque soit l’animal face à lui… du moins sur terre. Chacun avait ses préférences, lui détestait les étendues d’eau, ainsi que tout ce qu’elles étaient capables de contenir, et pourtant, ce n’était pas lui l’élément que le djinn qu’il était craignait… car il s’agissait bien de l’air. La terre était son ennemi, le seul élément qu'il ne pouvait contrer... Mais sans atmosphère, le feu s’éteint, se fane, se meurt, vacillant à peine, sans hésiter, sans un remord, il n’en a même pas le temps, à égalité. Mais l’eau… même s’il était capable de s'en "débarrasser", le rebutait sensiblement.

Alors qu’il s’inclinait différemment, Lin put enfin voir qu’il appliquait un baume sur l’animal en question… une potion comme il savait les confectionner, juste pour effectuer son travail, prendre soin des animaux qu’on lui apportait. Mais ce fut à cette seconde que l’animal sembla rugir sous la douleur que le sorcier qu’il était lui infligeait, le sédatif paraissant perdre tout effet… tandis que lui-même sautait agilement en arrière, laissant la bête se relever, bien qu’encore jeune, très agressive, sa gueule s’ouvrant pour le brûler lui, mais également la jeune femme qu’il enlaça subitement, alors qu’elle frissonnait sous la chaleur qui l’enveloppait, comme s'il avait cherché à lui faire subir sa propre erreur. Tournant le dos à la coulée de flamme qu’il paraissait tarir à mesure qu’elle le frappait, ses doigts s’étaient refermés sur ses lèvres pour la condamner au silence, lui laissant saisir cette fourbe impression…

« Je t’avais dit de ne pas venir. » lui souffla-t-il ensuite d’une voix brûlante de colère, tandis qu’il la relâchait, se retournant pour voir le dragon tenter de s’envoler, mais c’était bien évidemment peine perdue avec la chaîne qui le retenait.
« Grand-père m’a dit que tu partais… » se contenta-t-elle de répondre alors qu’elle entrevoyait ses mains se contracter avidement.
« Et alors Lin ? Les monstres ancestraux vont-ils sortir de leur boîte sous mon départ de ces terres ?
- Mais tu es chez toi ! » s’exclama-t-elle alors qu’il se retournait, l’observant brièvement sous une attention qui lui fit ressentir un douloureux malaise, comme si elle était effectivement en tord. Avant qu’il en vienne à s’approcher, à l’empoigner rudement pour l’éloigner de cet endroit, la mettre en sûreté face à ce monstre lointain mais pour lequel il avait eu la douceur d’un médecin.

« Tu ne fais qu’entretenir un rêve.
- Tu as grandi…
- Et ? Je n’ai pas l’intention de m’occuper des animaux blessés toute ma vie.
- Mais tu n’as que 18 ans…
- Lin… » souffla-t-il en déposant l’un de ses doigts sur ses lèvres pour la faire taire.

Une seconde, ou une éternité, sous une impulsivité toute personnelle, il l’attira contre lui, la serrant dans ses bras avec précaution, comme s’il tenait ainsi le plus précieux des joyaux du Soleil Levant. La jeune femme avait raison, ces terres… c’était les siennes. Leurs croyances l’avaient nourri à leur sein et il ne pouvait bannir Bouddha de sa propre existence, ni ces vieilles légendes japonaises qui étaient venues parsemer son enfance. Sa peau, son regard, tout rappelait cette Europe dont il ne connaissait que si peu de choses… quelques langues apprises, quelques histoires connues, et ce que les journaux daignaient lui apporter. Mais aujourd’hui il voulait plus, malgré le danger qu’on lui attribuait, il voulait la nature, il voulait le monde, découvrir ces terres que ses yeux n’avaient fait qu’inventer. Aussi qu’on lui ait proposé une place pour étudier, protéger et sauvegarder les dragons en Roumanie ressemblait à une occasion qu’il ne pouvait manquer.

« Je vais partir et c’est ainsi.
- Quand ?
- Ce soir. »

Et il ne comptait pas le lui dire… il pouvait presque la deviner cette souffrance qu’il provoquait en elle, car si Lu Yan n’avait soufflé l’ombre d’un mot sur son départ, elle ne l’aurait sût qu’ensuite, sans aucune opportunité de le revoir, puisqu’elle était condamnée à épouser un homme d’ici quelques mois à peine. Disparaître était hors de question pour elle, et Matthias le savait fort bien. C’était comme ce fameux jour où elle lui avait dit ne pouvoir rater une heure de cours sous un caprice… il l’y avait contrainte en l’enlevant. Perdus dans un recoin du château, il s’était fait punir pour eux deux par la suite, sans un regret, et si son visage avait joué le repentir, son regard n’avait pas détrompé la jeune fille, il savourait sa victoire. Car que Merlin lui pardonne, mais elle avait aimé ces instants dérobés, ces moments où il la surprenait dans ces mêmes couloirs, l’entraînant à sa suite… Pourtant il avait toujours été un bon élève, dans la moyenne, excellent dans ce qu’il aimait. Pourtant…

« Pourquoi si tôt ?
- Et pourquoi pas ? Tu crois que demain ce sera moins difficile ?
- Non. » souffla-t-elle finalement en laissant son visage se recueillir contre son buste, un enlacement banni de cette société… ou tout du moins de la famille Wei. A l’exception d’eux… un frère et une sœur, aurait pu jurer Lu Yan, oui, c’était ce à quoi ils lui faisaient penser.

« Tu reviendras ?
- Je ne jure pas.
- Alors tu reviendras. » continuait-elle… tout en songeant que s’il ne revenait pas, ce serait elle qui ferait le chemin jusqu’à lui.
« J’ai du travail. » lui glissa-t-il ainsi, se détachant de son corps fragile, de sa douceur juvénile.

Adieu Lin. Aujourd’hui il partait pour embrasser un autre destin, se faufiler parmi ces occasions auxquelles il ne se refuserait pas, ces amantes funestes dont il aimait le contact maladif et sirupeux. Monstrueux arriviste, capable d’accepter un mariage juste pour de l’argent… au fond. Mais brûlant d’une telle indépendance qu’il finirait forcément par s’y soustraire… d’autres opportunités se dessineraient face à lui, d’autres… comme de rejoindre le corps enseignant de Poudlard. Étrange réalité, frondeuse illusion qu’il finira par embrasser avec amusement. La forêt interdite ne l’effrayait en aucune mesure, ni même ce qu’elle pouvait contenir… c’était un bon sorcier, possédant un secret des plus malveillants… son propre père adoptif… décédé, ne lui ayant laissé que de l’argent, il finissait finalement sous la coupe de ce ministère auquel on avait voulu autrefois le soustraire après le décès de ses parents dans un incendie.

Quod erat demonstrandum*, car la boucle était bouclée.