La petite fille fronçait les sourcils comme sa main lui tenait trop fort le poignet. Elle tira brutalement sa petite main en arrière, massant l'os rendu douloureux. Symphony n'aimait pas qu'on lui touchât les poignets, car c'était pour elle toute sa vie, car ses mains étaient les seules choses qui lui importer sur cette terre et qu'il aurait été tout à fait impensable pour elle qu'on les lui enlève, ou les lui casse. Elle jeta ainsi un regard noir à Joleene qui ne se démonte pas. La jeune capricieuse était autant rodée que la plus vieille, et si derrière des traits d'ange se cachaient un dragon, la jeune avait encore beaucoup à apprendre.
« Symphony Grey, il y a des limites à ne pas dépasser ! » Le ton un peu sec de sa mère la surprit. Joleene était connue pour son grand caractère, mais avec ses enfants elle s'était toujours montrée très patiente, vraiment. Elle avait regardé de multiples fois James et Brivael subir les punitions de leur père sans jamais rien redire, sans jamais hausser elle-même la voix. Des deux sans doute était elle la plus posée, mais il y avait des choses que l'on ne pouvait clairement pas accepter, des choses qui ne passaient pas, et la vulgarité en était une. Si Lester l'apprenait, il l'enverrait dans la poivrière, celle dont elle avait pris goût et aimait parfois grimper à l'intérieur pour le seul plaisir de retracer sur les vitres sales des arabesques dépoussiérées, et ce n'était pas une chose que Joleene appréciait. « La prochaine fois que de ta bouche sort le moindre... le moindre juron, aussi léger soit-il, je te fais moi-même avaler ta langue, ma fille ! »
Symphony baissa les yeux, les dents bien serrés. Elle n'avait pourtant pas tord ; pas vraiment raison oui, mais qui aurait voulu épouser le fils d'un vieux fou ? Manfred était ce qu'il était, mais elle, elle en était sûr, avec sa tête et au vu de ses enfants, il était fou, complètement fou. « Tu m'as dis de toujours dire la vérité... » siffla tout bas la petite vipère, d'un petit air retord. « J'ai aussi cru bon de t'éduquer pour que tu sois instruite et intelligente. Visiblement tu ne retiens pas tout. »
Les excès de Joleene étaient rares, très rares. De ses fils elle n'avait pas vraiment fait l'éducation. Brivael avait été rendu souvent dans les jupes de Lester, parce que c'était un enfant qu'elle n'avait de toute façon pas voulue. Du début à aujourd'hui, elle éprouvait comme un malaise. James avait été différent. Aimé et chéri dès le premier jour par la jeune mère, elle avait appris avec lui à comment se tenir avec un enfant, avait observé d'un œil attentif les gestes de la nourrice pour les reproduire quand dans la nuit il hurlait pour un peu de chaleur. James n'avait pourtant pas été un enfant difficile ; il aimait plus jeune dormir, et il était effacé jusqu'à qu'il sache parler, après quoi il avait été tout simplement solitaire et taciturne.
Symphony avait été tout à fait différente. Elle avait été bruyante et machiavélique. Les coliques la frappèrent brutalement, et de longues nuits sans sommeil mirent à mal parfois la patience des deux parents. Plus tard ce fut les dents qui énervant le bébé capricieux l'avait rendu hargneux. La petite princesse pourtant, même dans les cris et la douleur, avait gardé une jolie voix et un joli minois. Joleene avait aimé cette enfant comme elle n'avait jamais aimé avant. Elle l'avait serré contre elle quand elle hurlait, car elle lui renvoyait l'image du premier enfant dont elle avait toujours rêvé, de cette petite fille qui marcherait dans ses pas, qui l'observerait au coin du feu pour se comparer, pour remarquer qu'elles avaient le même nez, le même regard, les mêmes mimiques ou tout simplement le même sourire.
Symphony était sa fille unique, un bijou adorable qui plus tard ornerait la maison des Mc Swann, mais aujourd'hui elle était encore à elle, dans la maison familiale, et si elle-même ne cillait pas des remarques parfois déplacés d'autres aristocrates, de nobliaux en manque de sensation qui cherchait tout simplement à titiller une Black, elle ne voulait pas que sa fille souffre des réputations que l'on attribuait aux femmes de la famille Black. Elle devait être élevée dans le cocon des Grey, gardant toujours à l'esprit pourtant d'être un étendard pour sa maison : à la fois l'oriflamme et la lance.
Joleene soupira doucement, et passa doucement sa main sur le visage de sa fille, la regardant d'un petit air triste. Symphony pencha la tête, acceptant la caresse comme les gestes intimes étaient rares mais toujours d'une extrême douceur, rassurant comme les baisers de son père sur son front. Elle se sentit un peu mal sur le moment, gênée peut-être, car encore une fois elle décevait. « Tu es magnifique ma fille, comme un ange. Tout le monde attend de toi que tu parles comme telle... » Joleene marqua une pause, et eut un sourire rassurant. « Le blason des Black est fait d'un dragon et d'une licorne. La licorne pour le corps, le dragon pour le cœur. Et tu as sans doute beaucoup hérité de moi, mais... Tout ça va te porter préjudice tôt ou tard. Manfred est ce qu'il est, mais c'est l'ami de ton père, et ton aîné ; rien que pour ces raisons, tu lui dois le respect le plus sincère que l'on peut attendre d'une enfant de ton âge. Quand tu seras mariée, tu pourras parler comme bon te semble, mais avant ce moment, tu remets en cause la parole de ton père, et tu ne veux pas que ton père se fâche, n'est-ce pas Symphony ? » La gamine se pinça les lèvres, frissonnant à l'idée.
« Alors fais-lui plaisir et calme-toi. Je ne te dis pas de devenir une bête stupide de foire comme certains aimeraient, sois toujours toi, mais si ce que tu as à dire n'est pas... appréciable à entendre, alors ne le dis pas. Si tu le dis, tu vas t'attirer des ennuis à toi et à Calixte. Calixte est ton ami, et ton futur époux Symphony, tu... » « Non ! Non ! Tu... Tu as dis que je choisirais ! Que... tu as dis que j'étais la seule capable de choisir ! » Joleene soupira plus lourdement, le cœur un peu lourd finalement. Qu'est-ce qu'elle allait lui dire cette fois-ci ? Elle la fixa, d'un sérieux grave : « Dans la vie Symphony, on ne fait pas toujours ce qu'on veut. »