« On va fermer, désolé … Ah, c’est vous. »

Mocca se stoppa et laissa entrer ses deux derniers clients de la journée. Il les connaissait de longue date, et les accueillit avec un sourire. Il remarqua la pâleur de Nathanaël, ses cernes plus mauves que jamais, sa silhouette maigre disparaissant derrière le sweat. Sa sœur Samaël avait enlevé son bonnet et révélait quelques égratignures. La figure chaleureuse de Mocca se voila d’inquiétude.

« Que s’est-il passé ? »

Sam fit asseoir Nathanaël à une table et murmura à l’adresse de Mocca « Je vous expliquerais ». Il opina de la tête et alla préparer deux cafés comme il savait si bien le faire. De derrière de son comptoir, il observa les Nod. Ils étaient vraiment étranges, comme sorciers. De la même trempe qu’Abaddon, ils n’étaient ni bons ni mauvais. Ils suivaient leur étrange ligne de conduite et commerçaient avec des puissances et des êtres mystiques. Mocca avait connu Nath, en premier. Il se rappelait de lui comme un adolescent calme, trop malin et mélancolique. Son aspect physique avait fortement frappé Mocca : il avait eu l’impression d’avoir une statue en face de lui. Puis était venue Samaël : à douze ans déjà, elle avait cette détermination dans le regard, cette énergie et cette autorité. Ils étaient hors du commun.

Sam’ avait le regard fixement posé sur son frère. Elle savait que Nath’ avait beaucoup donné ce soir. Chaque démonstration l’étonnait toujours un peu plus. Il avait de l’or dans les mains, ce garçon. Enfin, c’était une façon de voir les choses. Samaël posa sa main sur celle de son frère, et constata qu’il était complètement glacé. Samaël ferma profondément les yeux ; pourtant, elle devinait le sourire cynique qui se dessinait sur le visage fatigué de Nath’.

« Sam’, on naît pour retourner à la Terre. Fais pas cette tête. »

Sam’ ne répondit pas tout de suite. Comment pouvait-il demeurer aussi calme ? Il se détruisait lentement, elle savait que la douleur était telle que ça pouvait le clouer au sol, mais il souriait toujours et avait l’air de s’en foutre. Elle ne voulait pas qu’on le lui reprenne si tôt. Sans lui, elle était seule. Elle n’avait que lui au monde ; personne ne la protégeait aussi bien que lui. Elle rouvrit les yeux, serrant un peu plus fort la main de son frère dans la sienne et le regarda fixement.

« Si tu pars, je serais seule … »
« Pas tant que ça. Tu oublies Aba’. »
« Aba’, c’est pas pareil. C’est pas mon frère. »
« Ouais, c’est autre chose. »
« Pourquoi tu bois pas ton café ? »
« Pourquoi tu changes de sujet ? »

Sam' détourna le regard. Les yeux de Nath' étaient trop perçants, son esprit trop clairvoyant. Il buvait doucement son café en l'observant derrière ses longs cils noirs. Sa petite soeur était devenue une femme. Elle avait grandi comme ça, en traître, sans prévenir. Nath' avait toujours gardé un oeil sur elle, mais désormais, il se sentait faiblir. Le feu qui le brûlait de l'intérieur le réduisait petit à petit en cendres. Pour combien de temps en avait-il encore ? Quelques mois, quelques années avec un peu de chance. Et encore. Vivre dans un monde en guerre était-il vraiment une chance ? Se lever chaque matin, se pencher sur le berceau de ses filles en se disant qu'elles grandiront sans père, voir sa femme et penser qu'elle serait seule, était-ce de la chance ?

Il eut soudain envie de partir très loin pour réfléchir, encore une fois, à tout cela, à cet avenir condamné. C'était bien la seule chose contre laquelle il ne pouvait pas se soulever. Le jeune homme se leva, d'un air décidé. Il avait besoin de prendre l'air.

« Où tu vas ?! »
« A la maison. »
« Tu mens. »
« Sam', tu sais pertinemment que tu ne peux pas m'arrêter. Va à Godric's Hollow, préviens Cerberus et prends un bain chaud. Pendant que t'y es, invite Abaddon dedans et profitez de la vie, espèce de crétins. A plus tard, petite soeur. »

Il adressa un signe de tête à Mocca, qui n'avait pu s'empêcher de sourire au ton moqueur du jeune homme, et il transplana, bientôt suivi de sa soeur qui se rendait à Godric's Hollow.


« Merci de m'avoir prévenu, Samaël. »
« ... Pas de problème. Les petites vont bien ? »
« Elles dorment comme des anges. Tu ferais bien d'en faire autant, tu as l'air épuisée. »
«  Ouais ... J'vais y aller. Bonne nuit, Cerberus. »
« Toi aussi. »

Sam' poussa un profond soupir et monta dans sa chambre, après un dernier regard pour Cerberus. La jeune femme savait que la femme de Nath' n'allait probablement pas dormir : elle attendrait le retour du Nécromancien jusqu'à l'aube s'il le fallait. L'amour qui unissait ces deux êtres était plus solide qu'une montagne. Samaël les enviait. Ils ne se sépareraient sans doute jamais ... Quelle chance.

Sam' poussa un soupir et attrapa un bout de papier, sur lequel elle griffonnait un petit mot. Sans un bruit, elle redescendit l'escalier, sortit de la maison et se dirigea vers celle des Hellsing. Elle glissa la petite missive dans leur boîte aux lettres, et resta quelques minutes à contempler la grosse bâtisse. Bon sang, ce qu'elle avait pu y jouer quand elle était gamine, avec son frère et Abaddon ... Ils s'étaient inventés tant de jeux, de bagarres, de disputes. Et maintenant, ils étaient adultes. C'était passé bien vite ; Sam' n'avait pas vu le temps passer. Elle n'avait pas vu non plus certaines choses changer.

Sam tourna le dos à la maison des Hellsing et revint dans la sienne. Elle avait donné rendez-vous à Abaddon, afin de parler de Nath'. Nath', intarissable sujet de discussion ... La jeune femme remonta à sa chambre le plus silencieusement possible, et s'écroula sur son lit, sans prendre la peine de se déshabiller. Ses yeux se fermèrent rapidement, et elle sombra dans un calme sommeil. Il fallait qu'elle en profite. Les tourments reviendraient vite ...