Dans le brouillard londonien, les messes basses et produits échangés sous la cape sont invisibles ou presque. Dans les cul de sac misérables sous le pont de Londres, tout peut arriver, et personne ne cherche à jamais à savoir ce qui se passe.

Une impasse, un cul de sac, pas vraiment déserte, tout au contraire. C'est plein d'escrocs et autres habitués du marché aux trolls. Pas de nom, pas d'identité, une seule profession, et beaucoup de corps abandonnés dans la Tamise. Clarence releva le bord de son chapeau qui lui retombe sur les yeux pour émettre un sifflement mécontent. Achat-Vente : il n'a pas assez d'argent, ou bien sa tête ne revient pas à l'individu – peut-on vraiment parler d'homme ? - ou bien il lui a un jour balancé un sortilège à la figure, aucune idée. Mais il refusait de lui vendre ce qu'il voulait, et il en avait besoin. Pour un futur chapeau. Ce soir là un lycan s'était battu, un lycan avait perdu ( face à quoi, Clarence ne voulait vraiment pas le savoir ): et ce qu'on pouvait faire comme chapeau magique avec de la peau de lycan devait dépasser l'entendement. Il voulait cette peau. Coûte que coûte.

« -Grabuge, grabuge, cadavre dans la ruelle au petit matin, » annonça le chapeau que Dante portait.

« -Ignorez-le. »

Dante livra un sourire crispé à son interlocuteur qui regardait le chapeau, circonspect. Il sautillait d'un pied sur l'autre, impatient alors qu'il faisait passer d'une main à l'autre sa canne-épée. Il y avait des trolls pas loin, qui surveillent qui entre et qui sort. Cela le rendait très mal à l'aise.

« - Alors ?

-Maleficient en détresse ! »

Foutu chapeau, il ne pouvait pas se taire une minute ? Pourtant Clarence se détourna, jeta un coup d'oeil. Au cas où. Dante n'avait rien d'un chevalier servant, qui bondit à la rescousse de la veuve, de l'orphelin et des séduisantes pucelles. Non pas que la jeune fille qu'il apercevait corresponde à l'un des profils ci-dessus, de toute manière. Celle-ci elle était plutôt du genre intenable. Pas vraiment reconnaissable sur le coup : habituellement, c'est sa chevelure rousse qui attirait les regards comme un fanion enflammé ( tout du moins, avant que la demoiselle ne prenne la parole et vous force à exécuter ses quatre volontés ) et là euuuh... ben on ne voyait plus grand chose, tant la crasse inhérente aux rues de Londres avait finit par la contaminer, en tous cas c'était l'avis extérieur qu'avait Dante à première vue. Quoi, elle a un bout en moins ? Pas vu, ou plus exactement, déjà vu pire.

« -Elle est avec moi. »

Pourquoi il a dit ça ? Cela ne va pas l'aider elle, cela va lui apporter des ennuis à lui, et en plus elle est capable de lui en vouloir. Clarence, cela ne va plus du tout, tu ne tournes plus rond. Ou si, tu tournes en rond et tu vas te prendre un mur.

« -Et ?

-Et elle a une tête à chapeau, ce qui n'est pas ton cas.»

Comment empêcher quelqu'un de se faire tabasser ? Non pas en attaquant l'agresseur. En détournant l'agressivité de l'agresseur. Sur soi. Nettement plus pratique. Le troll lâcha Maleficient pour plutôt se préoccuper de Dante qui évita tant bien que mal un coup de poing massif comme sa tête, dirigé à son attention. Il mit quelques mètres de distance entre lui et le troll : Clarence en profita pour livrer un sourire fêlé et un regard en coin à la jeune femme retombée au sol :

« -T'es tombée dans la Tamise ou quoi, feu follet ? »

Les trolls ça pue, c'est moche, ça tape, ça porte mal le chapeau, et ce n'est même pas de bons compagnons de beuverie. Bref, il faut être plus que frappa-dingue pour venir les narguer sous leur nez ( enfin au niveau de leur torse plus exactement ) et leur balancer des réparties trop savantes pour que leur cerveau de pigeon les comprenne tout à fait, mais assez narquois pour qu'ils comprennent qu'on se foutait d'eux. Par bonheur, le bon sens n'était pas quelque chose que Dante possédait à l'excès.

«- Ahah très dr- PAR LA BARBE DE MERLIN!! Tais-toi et cours!!» Tais-toi et cours ? C'était quoi ces manières ? Demoiselle en détresse à la manque, même pas capable de parler correctement... quoique, Dante préférait. Chapeau à la main, le chapelier obéit pourtant docilement, et poursuivit la jeune femme à toutes pattes. Où qu'ils allaient ? Aucune idée, mais ils y allaient vite, c'était là l'essentiel. Enfin, tant qu'aucun troll ne s'interposait sur leur chemin; ils glissèrent (presque) grâcieusement au sol pour éviter l'étreinte trollesque, qui manqua de saisir le chapeau de Dante au passage. « Si on nous dit quelque chose une fois là bas je dirais que nous venons de ta part! » Disons que la folie de Maleficient n'avait pour égal que celle de Dante ( et qu'il allait leur arriver des bricoles, à ce rythme. Pendant ce temps, au sol, Dante vérifia précipitamment l'état de son chapeau - avant que ce malotru de couvre-chef ne lui balance quelques insultes bien senties - et prit la main tendue par la jeune femme.
« Chapeau bas chapelier, je ne te savais pas si bon danseur. » Prenant ce commentaire comme ce que c'était, un compliment et un remerciement deux en un, Dante toucha le bord de son chapeau, avec une légère inclinaison du buste, qui tranchait avec sa mise et le lieu.

"Tu n'es pas mal agile, non plus," fit-il, en balayant le lugubre espace dans lequel ils venaient de s'infiltrer par la ruse.

« Je vais voir ce qu'il y a de si intéressant au bout de cette ruelle. Tu m'accompagnes? » De si intéressant ? Pas grand chose, aux yeux de Dante qui y passaient pas mal de temps ( sans doute trop pour atteindre uen espérance de vie valable, mais ce n'était pas sa priorité, de toute façon ). Il ajusta son chapeau sur son crâne ( pas question de se le faire faucher par un abruti encore plus puant que lui ) et haussa vaguement les épaules; oui, pourquoi pas, bien sûr, promenade digestive.

" La princesse veut voir les bas-fonds ? J'espère que tu t'attends à rien d'autre que de la crasse et un poignard dans le dos."

Un troll gardant l'entrée, et des cris ( d'alcooliques, de joueurs, de va nu pieds et de gens de mauvaises vies, voire en train d'être assassinés et/ou violés ) en direction... Cela aurait titillé la paranoïa de Dante si cela n'avait été son quotidien depuis sa naissance. Au contraire, il faisait partie des vilains; alors qu'un homme (louche) se dépêchait de sortir du marché au trolls ( sans doute poursuivit par des gens encore plus louche ) il lui prit au passage sa bourse (maigre) qu'il glissa dans sa poche, et son ... couvre-chef, si on pouvait appeler ça comme ça, en tous cas ce n'était pas une des créations de Clarence, et l'enfonça sur le crâne de Maleficient; couleur locale, ils ne se feraient peut-être pas trop tuer.

"Ah, et je viens de faire mon sauvetage annuel, compte plus sur moi. Tu as un objectif ou c'est du tourisme ?"

Malgré ses manières – qui la rendaient charmantes aux yeux de Clarence – Maleficient était une gentille fille. Enfin, une fille qui n'était pas née dans une roulotte entre deux chapardages ou dans une ruelle obscure entre un viol et un meurtre. Elle avait une famille, une maison... Pour Dante, elle était de la haute, mais heureusement, elle était assez étrange et intéressante pour qu'il passe par-dessus ce genre de petit défaut ( ou gros défaut pour lui, il détestait les gens riches, éducation gitane oblige ). Mais ce n'était pas le genre de fille qui passait son temps depuis qu'elle savait marcher au marché aux trolls, quoi. C'était même sa première fois, vu sa rencontre avec le troll. Le marché aux trolls était merveilleux, avec son activité, sa boue, son caractère sordide et chaotique, follement intéressant. Mais bon, fallait quand même vérifier ses poches et l'écoulement de son sang quoi. Si princesse voulait visiter, princesse visiterait. Dante se ferait un plaisir de la guider ; elle était follement drôle ( même si étrangement crasseuse actuellement. Enfin. Il avait vu pire. )

« Ce serait diablement excitant !!! » Le côté schizophrène de Maleficient ne déphasait pas Dante plus que ça ; au contraire, cela accompagnait ses propres sautes d'humeur. Le seul souci étant qu'ils sautent d'humeur en humeur dans la même direction. Sinon, ça tournait assez vilain, et de telles disputes fracassantes étaient fréquentes entre les deux illuminés. Qu'elle trouve que se faire tuer et inhumée dans la crasse soit excitant, ne l'embêtait pas tellement non plus. Par contre, qu'elle lui saute au cou...

« -Laaaache mon col, »

râla Clarence avec mauvaise humeur. En voilà des manières. Il se débattit tant bien que mal, perturbé dans son espace vital, mais la jeune femme l'avait déjà lâchée et était passée à autre chose. Au moins, elle était de bonne humeur ( pour l'instant ) et serait peut-être supportable. Il fit un pas de côté pour éviter le … truc qui s'approchait d'eux, qu'il observa d'un air méfiant.  « Oh ne soit pas si négatif! Si tu meurs je t'apporterais des fleurs! Et si je meurs... considère que je t’exempte de m'en apporter comme ça tu restes gagnant. Je veux voir des combats! Je veux PARTICIPER à un combat!! Dans une arène de rue minable, allez viens... »

« -Si tu meurs je ne ramènerais même pas ton cadavre à la civilisation, je te laisse en plan et je cours pour sauver ma vie, merci. »

Il était généreux et n'hésitait pas à voler au secours de la veuve et de l'orphelin, mais il n'était pas suicidaire. Le contraire même, sa peau passait d'abord et il courait très vite. Toute une vie d'entraînement à échapper à la police.

« -Très bien, mais tu as intérêt à gagner, je veux en avoir pour mon argent. »

Argent volé 500 mètres auparavant, mais chut. Une arène de rue minable ; princesse avait des goûts de luxe. Dante se laissa entraîner – traîner en fait – par sa compère tout au long de la ruelle minable. Clarence se contentait de lancer des regards par en-dessous à tous ceux qu'ils croisaient, bien caché derrière le rebord de son chapeau. Contrairement à sa jeune camarade, il n'avait aucune envie de prendre part dans un combat. Rapidement, toute sa concentration, fut occupée à ne pas perdre Maleficient ; les endroits minables et sordides sont toujours surpeuplés de la vermine de la pire espèce ( celle de Clarence ). Chapeau et manteau étaient ensorcelés de manière à empêcher les vols et à créer un malaise chez ceux qui le frôlaient de beaucoup trop près. Mais la foule rendait tout de même Dante mal à l'aise. Pas comme si la rouquine lui laissait le choix en même temps : ils s'arrêtent au premier rang du spectacle auquel elle voulait assister. Participer.

Si elle tenait vraiment à se battre, elle pouvait déjà le faire avec tout ceux qu'elle – qu'ils – avaient bousculés. Mais cela ne correspondait sans doute pas à sa définition de spectacle. Ce trou immonde et malodorant qu'elle regardait avec enthousiasme avait sa préférence. Où étaient passées les donzelles qui pleuraient à la vue d'un cheval blessé ? On était à la mauvaise adresse. Surtout que le centaure en question n'était pas du genre gentil poney : après avoir jeté le truc affilié à la race strangulot au pied de Maleficient et de Dante, il se jeta sur lui pour le piétiner, férocement. Salement même, puisque du sang et un morceau de ...quelque chose appartenant à l'intérieur de l'anatomie du strangulot jaillit jusqu'à eux.
Dante déposa soigneusement le bout de... chose qu'il avait reçu sur son chapeau sur l'épaule de Maleficient, avant de la saisir par les aisselles et de la laisser tomber de l'autre côté de la barrière de sécurité – mes fesses la sécurité – dans le sable de l'arène.

« -10 gallions sur la gamine ! »

Hurla-t-il, suscitant aussitôt l'adhésion de la foule : ça allait être un massacre, et les gens du marché aux trolls adoraient ça. 10 gallions qu'il n'avait pas. Maleficient avait intérêt à ne pas être qu'une grande gueule... Au pire, un petit enchantement par là, une fuite éperdue par là... Boarf, ils avaient fuis des trolls un instant auparavant, un centaure n'allait leur faire peur ! Dante était pour une fois assez optimiste quant à la situation quand il se sentit lui aussi projeter de l'autre côté de la barrière.

« -Qu'on ait un peu d'action ! »

Hurla une forme vaguement humanoïde et tout à fait immense. Apparemment deux humains contre un centaure de combat, c'était encore trop facile. Oui mais non, Dante n'avait pas signé pour ça quand il fit une pirouette dans la poussière pour se remettre debout. Maleficient ne lui apporterait jamais que des ennuis.

Maleficient était fatiguante, à toujours bondir de plan foireux en plan foireux avec un enthousiasme débordant. A peu près le contraire du caractère de Dante, mais malgré son caractère ronchon, il râlait plus qu'il ne mordait. Et peut-être que, tout au fond de lui, il appréciait assez de se faire ainsi trimbaler sans cérémonies. Disons que les gallions étaient un dédommagement – il risquait de se faire poignarder à tout moment, sa peau valait au moins ça !

« 10 gallions !!! Mais quel pingre! Je m'en souviendrai » Dante lui tira la langue. Il s'attendait à ce genre de récrimination, mais si la princesse voulait parier plus, elle n'avait qu'à lui donner les pièces sonnantes et trébuchantes elle-même ! ...Et mieux se défendre, parce qu'ainsi soulevée du sol, la rouquine n'avait pas l'air très glorieuse.

« - Oh, c'est bon fais pas ta chochotte ! »

S'exclama Dante à l'encontre du centaure qui fronçait le nez, sans se soucier de si on pouvait l'entendre ou non.  La bête ne devait pas sentir mieux que la crasseuse princesse ….aux méthodes peu orthodoxes, qui enfonça sa baguette dans la narine du monstre. Dante aurait volontiers applaudit, s'il n'avait pas eu un problème plus pressant et personnel qui l'attendait ; Dante roula tête la première dans le sable, et attendit patiemment de se faire engueuler. Il avait plus peur de l'engueulade qui allait très certainement suivre – pas parce qu'il avait fort peu courtoisement balancé la demoiselle dans la gueule du centaure, parce qu'il l'avait rejointe. Tiens, écoutez :  « Hey mais non! Qu'est-ce que tu fous, je croyais que c'était MON heure de gloire et que tu empochais les gallions!! Retourne derrière la barrière, tu vas tout gâcher là... » A partir de cet instant, ce fut la cacophonie et le chaos le plus complets : Dante se mit à crier en même temps que la jeune femme :

« -Tu crois que ça me plaît à moi ? Est-ce que j'ai une tête de chevalier servant ? Je veux JUSTE empocher la monnaie, et y a un abruti, là ! »

Si Clarence avait eu le temps de voir qui l'avait jeté par-dessus bord il lui aurait volontiers envoyé son chapeau à la tête. Suivi de quelques sortilèges particulièrement mesquins et toute la garde-robe de l'individu aurait été méchamment envoûtée. En attendant, il criait sur Maleficient, ce qui avait le mérite de le détendre.
Ah beh, les spectateurs et parieurs ne devaient pas être déçus du spectacle : ils avaient eu peur d'avoir un massacre trop facile et peu savoureux, ils récupéraient deux hurluberlus plus occupés à s'engueuler au beau milieu de l'arène qu'à se préoccuper de leur adversaire. Justement, le centaure devait commencer à sentir son honneur égratigné ; il était le véritable héros de l'histoire, et ces deux là ne faisaient même pas semblant d'avoir peur de lui ! Par conséquent, il leur fonça dessus comme un barbare.

Dante roula ( à nouveau ) dans le sable, mais cette fois-ci resta au sol. En voilà des manières ! Surtout que l'équidé avait au passage pris son chapeau. Ou alors c'était son chapeau qui l'avait pris ? En tout cas, un chapeau particulièrement hargneux avait planté ses dents dans l'arrière train du centaure, ce qui aurait pu être une vision comique, si cela n'avait pas encore plus énervé le centaure qui bondissait dans tous les sens. Genre avec les sabots très près de la tête de Dante, et très certainement de Maleficient, même si elle n'entrait actuellement pas dans son champ de vision ( centaure entre eux oblige ).  Le chapelier se contenta donc de mettre toute sa mauvaise humeur dans son cri :

« -PRINCESSE GAGNE TES PUTAINS DE GALLIONS »