L'effet du chapeau est magique; Dante n'a pas de peine à voir les traits de la jeune femme se détendre alors qu'elle lui jette un regard reconnaissant. Elle se calme rapidement, alors que le chapeau traite sa crise de panique avec la facilité liée à l'habitude... et aux excellents enchantements de Clarence, rendons à César ce quiiujj lui appartient. Dante est satisfait de voir que la magie enfermée dans le couvre-chef fonctionne toujours, et il expire lui-même de soulagement en entendant la jeune femme rire:  le pire est passé. Dante n'a pas la moindre idée de la raison de ce rire, mais il s'en contre-fiche allègrement; elle pouvait bien être devenue folle que cela ne le dérangerait pas plus que ça. Elle ne panique plus, et ne se montre pas agressive : pour le chapelier, c'est positif, et un léger sourire traverse son visage.  «-Tu ne dois pas être désolé ! Tu ne pouvais pas deviner combien j'ai peur de disparaître...au sens propre plus que figuré. Dante, je ne t'ai donné aucune indication...Si c'est la faute de quelqu'un c'est bien la mienne ! » Pour toute réponse, Dante fit une grimace qui lui déforma un instant les traits : oui, certes, il ne pouvait pas deviner que de tous les chapeaux présents dans la pièce, c'était bien celui-là qu'il ne fallait pas déposer sur le crâne de sa visiteuse.

Mais son honneur de chapelier est blessé : il aurait du savoir, deviner, trouver un chapeau lui adéquat, le chapeau parfait. … Un chapeau comme celui qu'elle av à présent sur le crâne.  «-Celui-ci, il me plait beaucoup. Très utile ! » Dante hausse les épaules pour balayer la spécificité du chapeau : il n'y a rien de particulier dans celui-ci...n'est-ce pas ?

« -Il est magique. »

Voilà tout, pas de quoi en faire un drame. Intérieurement, Clarence craint qu'elle ne lui demande ce chapeau – ou une réplique – pour elle-même. Ce n'est pas un comportement très vendeur, mais tout son corps se tend imperceptiblement, il attends le coup. Elle va lui demander n'est-ce pas ? Ce n'est pas vendeur, ce n'est même pas aimable ou poli, mais il ne veut pas un point c'est tout. C'est une réaction physique, instinctive, qui vient du ventre et de sa paranoïa mais contre laquelle il ne peut rien : s'il en lui vend un, s'il lui en refais un autre dans ce genre, lui sera comme nu, elle pourra examiner ses sortilèges, passer ses défenses et... Un vertige s'ouvre sous les pieds de Dante qui rejette sa peur panique fermement; ne pas y penser sinon c'est lui qui allait devoir passer ce chapeau.

Par bonheur, tout ce passe comme dans le meilleur des mondes : elle ne lui demande rien, même si lorsque leur regard se croisent à nouveau, Dante a un frisson; qu'y a-t-il ? « -Dante, je suis épuisée...Est ce que...je pourrais dormir ici cette nuit? Je suis certaine que à tête reposée nous pourrions avoir encore beaucoup de choses à nous dire. » Dante s'immobilise sur place, et note soudain les bâillements de la jeune femme. Il n'est pas lui-même assez civilisé – bien au contraire – pour les trouver inconvenants, il ne les avait même pas remarqué en vérité. Mais vu l'heure, leur discussion... sa vie, ou ce qu'il peut en deviner, il est normal qu'elle soit fatiguée. Qu'elle demande l'asile pour la nuit ? Ce n'est pas normal, ou du moins cela ne le semble pas aux yeux de Dante. Ils ne se connaissent pas. Il ne la connait pas. Même si ça avait été le cas... Personne n'avle droit de se tenir dans la même pièce que lui alors qu'il dormait. Il ne se sent pas en sécurité. Le courant passe bien entre eux oui, mais de là à ?
Et en même temps, elle est là, visiblement épuisée, baillant à s'en décrocher la mâchoire, des plaies encore fraîches sur le corps et se relevant tout juste d'une crise de panique qu'il a lui-même provoquée... Dante est en plein dilemme, entre sa misanthropie – et misandrie, ne cherchez pas la petite bête – sa paranoïa instinctive et son bon fond naturel : il ne veut pas la mettre dehors pas. Mais il ne peut pas la laisser dormir ici.

Un long silence se met en place entre les deux sorciers. Dante a conscience que ce silence est long, excessivement long, interminable. Mais il n'arrive pas à trouver quoi dire et se contente de fixer Shaylee. Droit dans les yeux, on pourrait presque croire à tension de nature sentimentale entre, bien que la situation soit tout autre et que cela ne soit jamais entrer dans les préoccupations de Dante (essayez d'avoir petite-amie alors que vous ne tournez le dos à personne et que votre maison est bardée de sortilège ! ).  Le chapelier récupère le chapeau qu'il a posé sur le crâne de la jeune femme, le fait tourner entre ses doigts, son cerveau fonctionnant à pleine régime : avec effort, il parvient à articuler:  

« -Il n'y a pas... de confort. D'endroit où dormir. » Il résiste difficilement à l'envie de se planter le chapeau apaisant sur le crâne et le repose résolument. Il finit par inspirer une bouffée de l'air – vicié et malodorant – familier de sa boutique et de livrer un grand sourire résolu à son hôte : «- Il y a un lit d'appoint dans l'atelier d'à côté, ce n'est pas... mais ça peut faire l'affaire pour une nuit. Si vous vous laisser encercler par des enchantements. Il y a des choses...dangereuses, ici. »

Lui-même s'acquittera très bien du sol; avec quelqu'un dans les lieux, il doute de beaucoup fermer l'œil et il en a l'habitude – il dort n'importe où, tendances narcoleptiques obligent – et il sait qu'il doit avoir l'air inquiétant, avec ces sortilèges...mais il risque déjà de passer la nuit avec le fameux chapeau sur la tête, il ne peut pas faire mieux. Même si le regard qu'il porte à Shaylee est à la fois craintif, hésitant, et curieux : il veut qu'elle reste. Comme elle l'a indiqué, ils ont beaucoup de choses à se dire.

Dante l'accueille, joue au sauveur de la veuve et de l'orphelin et ouvre son antre à cette inconnue. Qu'est-ce qui lui prends ? Sa paranoïa l'accuse, porte plainte contre lui-même : ouvrir la porte au loup, il faut être fou. Il ne la connaît pas, après tout : elle le suit durant des jours, elle toque à la nuit tombée...et oui, bien sûr, restez donc dormir mademoiselle, n'hésitez pas à me poignarder dans mon sommeil, si ça vous fait plaisir ! Dante se serait fracassé la tête contre un mur ( si les murs de son atelier avaient été moins branlants ) et se serait maudit. Ce n'est pas son genre.

A croire qu'il fait confiance à la jeune femme ; horreur, cauchemar et abomination, vade retro satanas. Il ne fait pas confiance, à personne. Mais elle non plus et d'une manière irrationnelle, Clarence se sent lié à la jeune femme. Presque comme s'ils ont un destin en commun, que ce soir-là marque un tournant dans leurs vies – il ne parle pas de coup de foudre hein, attention, ni cela, ni une autre de ces absurdités romantiques – mais il y a quelque chose qui fait que Dante ouvre la porte de son monde à l'inconnue. Ils sont deux loups secrets et solitaires qui se sont beaucoup ouverts l'un à l'autre ce soir-là, à leur manière.
Il ignore tout des dernières hésitations de Shaylee quand il accepte (enfin) de l'accueillir sous son toit – si elle s'était exprimée, il en aurait été soulagé, il aurait inspiré à fond et aurevoir madame. Mais il a parlé trop vite, et maintenant il ne peut plus qu'avaler sa langue, il ne peut pas reprendre ses mots. Lui et elle regrettent déjà et ont la même envie de revenir en arrière. Sauf qu'ils sont trop fiers pour reprendre leur parole, et sont, en conséquence, coincés ici ensembles pour la nuit entière. « -Oh je ne suis pas difficile, j'ai dormis dans des endroits qu'il ne te viendrais pas même à l'idée d'imaginer... » Dante a essayé, mais elle ne veut pas partir. Il lui coule un regard par en-dessous, une étincelle joueuse dans le regard. Il hausse les épaules, négligeant ;

« - C'est un défi ? »

Son imagination est très fertile ; c'est son métier. Et les endroits qu'il ne pourrait pas en théorie imaginer, il y a sans doute piquer un somme ; il est né dans une roulotte crasseuse, et a grandit entre des pattes, il a une avance sur quiconque voudrait le mettre au défi de trouver les pires conditions d vie. Quant à son antre...Ce n'est pas un palace, mais c'est son nid, nid qui est plus sûr que confortable ; Shaylee l'approuverait sans doute dans l'idée qu'il vaut mieux ça qu'être mort dans des draps de soie. Il la laisse se mettre au lit, et est sur le point d'enchanter leur abri quand elle lui saisit le poignet, et le fait sursauter; « - ;Merci...merci pour tout. »

Dante émet un grognement qui équivaut pour une réponse ; quelqu'un lui tenant le poignet, occupant le lit, cela le rend trop nerveux pour qu'il puisse répondre de rien d'une voix affable : ce n'est pas rien.Mais elle dort déjà et s'en contre-fiche. Il recule de quelques pas et enferme la jeune femme dans un cercle de sortilèges protecteurs : il est protégé d'elle ( il ne vaut mieux pas qu'elle décide d'aller aux latrines au milieu de la nuit ) et elle l'est de tout ce qui pourrait se passer : un ouragan ravagerait la boutique que le cercle empêcherait qu'elle soit touchée. Les sortilèges qui bouclent la boutique à double-tour. Ceux qui protègent la pièce. Ceux qui protègent Dante lui-même. Une fois ce long rituel effectué, le calme du chapeler lui revint. Il pose le bout de ses fesses contre un établi qui traîne là, croise les chevilles et les bras et s'apprête à passer ainsi la nuit debout. Cela ne le gêne pas. Pour son sommeil ; il n'a le droit qu'à des extrêmes ; le coma narcoleptique ou la veille insomniaque. Shaylee serait plutôt du type sommeil agité par des cauchemars et, les doigts refermés sur sa baguette, Dante l'observe dormir, aussi immobile et silencieux qu'une statue, le Fléreur perché sur son épaule, les yeux aussi ouverts que son maître.

« -Daaaante ! Viens me libérer...j'ai peur de faire explosé ta boutique si je pose le pied par terre. » Il a dormi ? Surpris, Dante se relève là où il est tombé durant la nuit. Il a dormi. Pas dans ses habitudes. Il se secoue et secouant la tête rejoint Shaylee dans son cercle d'enchantements. A sa voix, la jeune femme a bien dormi, et est en grande forme, contrairement à lui qui est bougon...d'avoir bien dormi. Car il a étonnamment bien dormi, c'est sa meilleure nuit depuis bien longtemps. Ce qui n'est pas normal. D'un geste de baguette, il la libère et efface les protections.

« -Te voilà libre ! »

Saisissant un chapeau qui traîne au passage, il effectue une courbette en saluant avec le couvre-chef.

« -Rien n'a explosé, personne n'est mort. »

Constate-t-il en défroissant son costume, tirant sur ses manchettes usées. Et aucun de ses pièges ne s'est déclenché. Une bien jolie nuit en vérité, même si Dante ne parvient pas à se défaire d'un mauvais pressentiment qui assèche sa bouche. Tant pis. Comme la veille, il se met à la recherche de la bouilloire : sa sœur le grondait durant des heures quand il oubliait de petit-déjeuner. Il s'immobilise dans son mouvement, pétrifié, glacé, statufié et tout les synonymes que vous voulez. Mais son cœur bat la chamade, et toute couleur s'est retirée de son visage. Ses mains tremblent, même lorsque une d'elle se referme sur sa baguette.  Non, rien n'a changé à l'intérieur, mais une sirène d'ambulance de 2005 hurle dehors.

« -Ne t'en vante pas trop ! Si je me sent bien ici et en sécurité avec toi, je pourrais être tentée de ne plus jamais repartir. » Dante se retourna à demi vers elle, ses yeux roulant dans leurs orbites. NON MAIS CA VA PAS ? Il voulait bien servir de refuge et d'abris à tous les chats écrasés du coin, mais on repartait bien gentiment une fois le danger et la nuit écartés hein, on ne reste pas, c'est pas l'hospice ici. Dante voulait bien faire la charité, mais de loin. Personne dans ses pattes et son dos ( et sa paranoïa ) merci bien. Elle plaisante, hein ? Il n'est pas du genre à être capable de vivre avec quelqu'un, que cette personne soit une amie, une sœur ou une compagne. Etrange solitude pour quelqu'un qui a vécu la moitié de sa vie dans une roulotte où s'entassait une grande famille.

Mais Clarence a un problème bien plus urgent à régler : devoir se coltiner Shaylee durant le reste de son existence est une perspective agréable face au son qui résonne dans la petite habitation. Ironiquement, il ignore encore que les deux auront lieu et qu'il allait soudain souhaiter que Shaylee ne l'abandonne pas dans ce nouveau monde hostile.  Il se tourne vers sa camarade, paniqué. La peur brille dans le regard du chapelier. Qu'est-ce que c'est que ça ? Shaylee dégaine sa dague, Dante sa baguette. « -Qu'est ce que c'est que ce truc? Tu as déja entendu un bruit pareil? » Il secoue la tête, blanc comme un linge. Non, il n'a jamais entendu quelque chose de tel, et pourtant, nombres de sons lui sont passés dans les oreilles au cours de sa vie chaotique. Il siffle doucement, et le Fléreur lui saute sur l'épaule. Il ne semble pas pleinement rassuré non plus, mais s'il s'agissait d'un problème magique dangereux, il ne réagirait pas comme cela, Dante le sait. Non, la tête que fait la créature... C'est du nouveau. Ce n'est rien de connu et le poids dans l'estomac du sorcier s'accentue à toute vitesse. Panique à bord.

« -Suis-moi ! On va voir ! On peut pas rester planté comme ça ! » Si, si, on peut. On peut même gentiment reculer et aller se cacher. Oui, ça serait bien d'aller se cacher. On recule, on court se cacher sous une table, on ferme les yeux très fort et on attends que ça passe. Le cœur de Dante bats trop fort et lui fait un mal de chien. Il tremble, mais lorsque la jeune femme le saisit par le poignet et l'entraîne vers la porte, il se laisse faire. Avec l'attitude d'un chien traqué prêt à mordre.

Ils jettent un regard prudents à travers la fenêtre, quand c'est un tout autre monde qui passe à travers les rideaux. Lumière, bruit, vitesse et cacophonie, un nouveau monde leur tombe soudain sur le coin du crâne. Dante s'entend pousser un cri. Un sortilège fuse, traverse la vitre et explose la lumière. Réflexe. Le girophare a beau volé en éclat le bruit ne s'arrête pas pour autant et l'ambulance fonce jusqu'au bout de la rue. « -Est ce qu'on serait occupé à devenir fou tout les deux? » Il recule précipitamment alors que Shaylee elle, tombe au sol. La tête lui tourne, il a la bouche sèche. Que s'est-il passé ?

« -Je le suis depuis longtemps, et je peux t'assurer que cela ne ressemble pas à ça, » murmure Dante.

« - Va voir, bougre d'idiot, » l'insute copieusement le chapeau parlant, vieux compagnon du chapelier depuis son coin sûr.

Dante lui lance un regard venimeux. Si seulement il était lui-même un chapeau, la vie serait bien plus facile. Ah, se jucher sur un crâne, faire son office et ne craindre qu'un coup de ciseaux hasardeux ! Pourtant, il a pris l'habitude d'obéir au couvre-chef mis au point par son ancien maître, puisqu'il est souvent plus intelligent que lui. Alors, il lance un regard terrifié à Shaylee et s'avance en crabe jusqu'à la fenêtre dont il écarte à nouveau le rideau. Au bout de la rue, se trouve un sorte de carriole sans cheveux, blanche et bleue : c'était cela qui émettait bruit infernal et lumière aveuglante. Dante dirait bien qu'elle est arrêtée devant chez le vieux Willson...sauf qu'il ne reconnaît pas la maison. Ni la maison, ni les autres, ni les pavés de la rue, ni …. ni rien. Il est dans sa maison, mais pas dans sa rue.

« - …. Nous ne sommes plus à Londres. »