Droite, élégante et raffinée dans sa robe de satin noire, Evangeline regardait le flot incessant des invités, à la recherche d'une connaissance avec qui engager la discussion potable. Enfin, cela restait un grand mot car dans le monde d’Evangeline, les discussions n’étaient rythmées que par l’hypocrisie et les faux sourires. C’était une obligation en quelque sorte, elle ne pouvait décemment pas montrer à quel point elle pouvait tous les mépriser. Elle se devait de leur faire croire qu’ils étaient tout autant intéressants qu’elle, même si c’était loin d’être le cas. Mais le commun des mortels aimait pouvoir se croire apprécié et même parfois envié par une divine personne comme elle, et bien que cela soit parfois aux prix de gros efforts, elle savait qu’elle finirait tôt ou tard par en retirer les bénéfices. Car les petits gens pouvaient se montrer utiles parfois… Trop sélective dans le choix de la personne qui aurait le privilège d’entamer une conversation avec elle, ce fut finalement elle qui se fit aborder, c’était d’ailleurs souvent le cas… on venait quasiment toujours à elle et non l’inverse… L’heureuse élue –qui s’était élue seule- n’était autre que Alicia Blackson, femme issue d’une famille au sang aussi pur que le sien et à la fortune conséquente. Elle faisait partie des petits papiers d’Evangeline et elle était une de ses rares clientes dont elle prenait personnellement soin. La relation qu’elle s’efforçait de garder avec cette femme lui serait sûrement favorable un jour… mais pour le moment, Evangeline devait se contenter de sourire tout en s’intéressant –du moins en apparence- aux sujets ennuyeux de madame. Sujet sans importance et favori numéro un de madame : sa fille ! Oh et cette fois, elle était venue avec…

Alicia : « Lexie, ma fille. Je vous en ai parlé me semble t-il. »
Evangeline : « Oui, bien sûr ! » Elle salua poliment la douce enfant tout en ajoutant à son égard… « Votre mère ne cesse de faire l’éloge de votre beauté, et je peux constater à quel point elle disait vrai ! »

Oui elle était jolie, mais loin de lui arriver à la cheville tout de même. Sans compter qu’il lui ferait sûrement le plus grand bien de prendre un ou deux kilos… on pouvait quasiment distinguer ses côtes sous sa robe, ce qui était de plus mauvais effet. Enfin… il s’agissait sûrement encore d’une de ces adolescentes mal dans sa peau. D’ailleurs, elle se désintéressa bien vite de la petite blondinette pour promener son regard sur celui qui devait être son frère. Amatrice de bel homme, Evangeline le détailla des pieds à la tête. Il était plutôt mignon, mais bien trop maigrichon ! Peut être en vaudrait-il la peine d’ici quatre à cinq ans, lorsqu’il sera devenu un homme. La conversation entre les deux femmes continua, rythmée par les sujets que Alicia désirait, Evangeline avait apprit il y a longtemps, comment faire plaisir aux gens, mais aussi comment les flatter. Ainsi, lorsque Alicia se perdait en compliment à son égard, Evangeline jouait sa modeste, retournant les compliments à la femme qui ne les méritait certainement pas, alors qu’elle, si ! Elle délaissa finalement madame Blackson et ses enfants insignifiants, leur temps d’écoute et de parole étant dépassé, prétextant devoir aller s’entretenir avec un ami. Elle avait encore des personnes à flatter en cette soirée, être Evangeline Bathory était un travail à plein temps, et pas des plus reposants…

Son regard impitoyable et glacial était rivé sur deux jeunes gens formant pourtant un couple charmant. Elle bouillonnait du balcon où elle avait malgré tout une vue suffisante sur eux. Elle rageait intérieurement contre la petite pimbêche –devenue cible à abattre- qui accaparait l’homme qu’elle avait elle-même repéré en début de soirée. Ce qui l’agaçait au plus haut point, c’était que l’homme en question ne semblait pas indifférent à cette grue et cette constatation la fit grincer des dents. Des hommes, il y en avait des tas dans cette soirée, tout aussi bien que ce type d’ailleurs, mais c’était sur lui qu’elle avait jeté son dévolu, c’était donc lui qu’elle aurait, peut importait qu’il y ait un millier de nunuche pendu à son cou ! Evangeline ne revenait jamais sur ses décisions, et elle ne baisser encore moins les bras facilement. Ce serait lui et personne d’autre ! Elle était entrain d’envisager les solutions qui s’offraient à elle, lorsqu’une voix s’éleva à côté d’elle.

Victoria : « Tu devrais attendre un peu… il n’est peut être pas intéressé… »
Evangeline : « Attendre ? »

Le regard et le ton impérieux d’Evangeline eurent raison de la misérable tentative de la jeune femme de calmer la blonde. Attendre… Merlin, voilà bien un mot qu’elle ne connaissait pas ! Il lui était totalement inconnu tout comme la notion de patience. Jamais elle n’avait eu à attendre quoi que ce soit dans sa vie, elle avait toujours tout eu tout de suite, sans effort et même sans avoir à le demander, et elle comptait continuer sur cette route. Et même si quelque chose lui résistait quelque peu, elle n’était pas du genre à se comporter en petit animal peureux, attendant bien sagement que quelques miettes tombent au sol pour en profiter… Non ! Elle était plus… sauvage, et tel un fauve elle extirperait le gibier convoité des pattes de son adversaire, même si pour cela elle devait sortir les griffes. Bien entendu, tout cela se ferait dans la subtilité, attaquer de front n’était jamais la meilleure des solutions. La jeune femme l’accompagnant la regardait avec appréhension. Elle connaissait Evangeline depuis des années, depuis l’école en fait et elle n’approuvait pas toujours son comportement mais elle le gardait bien pour elle, car si elle savait une chose, c’était qu’il valait mieux avoir Evangeline de son côté que contre soi. Elle avait pu voir lors de leurs études ce qui arrivait aux filles se mettant volontairement ou non, en travers du chemin de la belle blonde, et elle n’avait vraiment pas envie d’être une des victimes de ses machinations. Surtout qu’avec le temps, l’héritière Bathory était devenue encore plus impitoyable.

Evangeline termina son verre d’un trait et s’en débarrassa en le mettant dans les mains de son amie sans aucune considération. D’ailleurs, le mot ‘amie’ était peut-être inapproprié… La jolie blonde n’avait pas ce genre de relation, elle avait de tout, sauf des amis ! Victoria était depuis le l’école, une excellente faire-valoir, lèche botte de première et pouvant servir à quelques tâches parfois. Bien sûr, aux yeux de tous, les deux jeunes femmes étaient de très bonnes amies et on enviait même Victoria d’être aussi proche de Evangeline et d’avoir su conquérir son amitié. S’ils savaient ce que la pauvre endure avec la Bathory, les discours seraient tout autres ! Délaissant Victoria sans même une parole ou un regard, elle avança de son pas élégant et aérien en direction de ses cibles. Passant près d’eux, la jeune femme feignit d’être déstabilisée et donna un violent coup d’épaule dans celle de l’homme désiré. Le résultat fut à la hauteur des attentes d’Evangeline. Le liquide rougeâtre qui reposait jusque là dans le verre du beau brun, était parti se renverser sur la robe claire de sa victime. Elle mit alors sa main devant sa bouche, jouant le rôle de la femme confuse de sa maladresse.

Evangeline : « Vous devriez allez nettoyer tout de suite ! Je crains que votre vêtement ne soit fichu dans le cas contraire. »

Celle qui n’allait plus être un problème s’éloigna en direction des toilettes, non sans jeter à Evangeline un regard mauvais. Elle n’était pas la seule à lui avoir lancé ce genre de regard… Croyant dur comme fer à son rôle de jeune femme modèle et pleine de bonnes intentions, certains –que des jaloux !- pensaient pouvoir la prendre de haut. Quelle bande d’idiots ! Cependant, au lieu de lui sortir sa baguette et de lui montrer qui était supérieur à qui, Evangeline se contenta comme toujours de lui retourner un sourire faussement amical alors qu’elle disparaissait pour de bon de sa vue. Son attention se porta alors sur le beau spécimen qu’elle venait de récupérer, elle n’eu aucun mal à distinguer tout l’intérêt qu’il lui portait. Quoi de plus normal ? On reconnaissait volontiers sa beauté, son héritage familial y étant pour beaucoup. Très bien, intéressé mais encore fallait-il l’agripper pour de bon avant que l’autre ne revienne et ne gâche ses plans. Aussi dit-elle d’un ton désolé et d’air plein de fragilité,

Evangeline : « Je crois avoir abusé un peu trop de la boisson, j’en viens à ne plus savoir ce que je fais. Je me demande même si je vais réussir à rentrer chez moi sans encombre. A moins qu’une âme charitable ne se propose de me raccompagner… je lui en serais tellement reconnaissante. »

Un regard remplit de sous-entendu et deux minutes plus tard, elle quittait la soirée avec son beau brun au bras. Les hommes étaient tellement faciles à avoir… c’était d’ailleurs son jeu préféré même si parfois, bien qu’elle n’aime point cela en temps normal, elle souhaiterait tomber sur quelqu’un d’un peu plus difficile, histoire de relever un vrai défi.

Ce fut par les rayons de soleil passant au travers des rideaux que Evangeline se fit réveillée. Seule dans son lit démesurément grand, elle avait congédié son amant de la nuit dernière bien vite après leurs ébats. Si elle aimait partager son lit avec les hommes, elle ne les laissait jamais s’attarder plus que nécessaire chez elle. Leur permettre de dormir auprès d’elle ? et puis quoi encore ? Elle n’allait pas offrir l’hospitalité à tous les hommes avec qui elle passait un bon moment, sa demeure n’était pas un hôtel ! Elle profita donc de sa seule présence dans son lit pour s’étaler et s’étirer de tout son long, avant de se lever et de passer des heures dans sa salle de bain. Il est vrai qu’avec sa beauté naturelle, elle n’avait nul besoin de se parait d’artifices afin d’être sous son meilleur jour, mais justement, elle tenait à sa beauté et elle ne la laisserait certainement pas se faner sans lever le petit doigt ! Aussi prenait-elle grand soin d’elle, peut importe le temps qu’elle devait y consacrer et d’ailleurs, c’était loin d’être une corvée pour elle que de devoir prendre soin d’elle et de devoir passer un temps fou à s’admirer dans la glace. Ce fut finalement légèrement à contre cœur qu’elle quitta sa salle de bain. Se sentant particulièrement sereine en cette journée, elle était persuadée que rien ne pourrait venir l’entacher et ce fut d’ailleurs le cas tout au long de la matinée. Cependant sa bonne humeur s’envola bien rapidement lorsqu’elle tomba sur le journal du jour. Dans l’édition, un article affirmait –soit disant de source sûre- que l’un des principaux investisseurs de Evangeline était en négociation avec la concurrence. Baliverne ! Ce n’était que des racontars ! Pourtant, le doute était semé en elle, aussi prit-elle l’initiative d’envoyer un hibou express au principal intéressé. Elle attendit impatiemment la réponse, faisant les cens pas dans son bureau et essayant de se convaincre qu’il ne s’agissait là que de rumeurs non fondées.

Pourtant lorsqu’elle reçu la réponse tant attendue, elle dû se mordre l’ongle de son pouce pour s’empêcher d’hurler. Voilà qu’il lui confirmait la véracité des propos de l’article et sans semblait-il, le moindre remords à son égard. D’ailleurs, cet enfoiré c’était bien gardé de lui annoncer la nouvelle lui-même. Elle froissa le bout de parchemin et l’envoya valser dans un coin de la pièce. Posant ses mains sur son bureau, elle chercha un moyen de se calmer. Elle ne laisserait pas cet affront passer, on ne trahissait pas un Bathory sans en payer les conséquences ! Le tout restait de savoir comment elle allait s’y prendre à présent pour lui faire regretter amèrement d’avoir osé la doubler. Elle ne pouvait pas se mouiller directement, elle n’était plus à l’école et elle n’avait plus son très cher oncle pour la couvrir. Quant aux niaises qui formaient son cercle d’amies, elles ne seraient pas à la hauteur, elles feraient même tout capoter ces idiotes ! Pour cette affaire, il lui fallait quelqu’un de qualifié, pouvant être assez discret et répondant à ses attentes… Un professionnel en somme… et elle avait ça sous la main, elle savait à qui s’adresser tout en étant assurée que le travail serait bien fait.

Evangeline quitta son bureau muni d’une longue cape, parfaite pour se dissimuler aux regards indiscrets. On ne devait absolument pas la voir traîner là où elle allait, mais il était plus facile que ce soit elle qui se déplace plutôt que le contraire… Cacher son élégance, sa beauté, son identité sous un morceau de tissu était chose aisée, mais donner de l’allure à un homme qui n’en possède nullement… voilà qui était plus compliqué. Elle s’aventura sans se défaire de son assurance dans l’allée aux embrumes, elle savait qu’elle le trouverait là bas, il y passait énormément de temps. Elle ne se trompa pas, comme souvent, et le trouva rapidement… lorsqu’il la vit, il la suivit simplement, sans un mot. Il savait qu’elle était là pour lui, elle était toujours là pour lui. Ils durent trouver un endroit loin des oreilles indiscrètes, elle ne prenait aucun risque, lui non plus… Lorsque ce fut chose faite, elle prit rapidement la parole, l’empêchant de ce fait d’en faire de même. Généralement, il l’épuisait… non, l’agaçait dès qu’il ouvrait la bouche. Il n’avait jamais l’air sérieux, ce qui l’énervait grandement. Mais elle devait avouer que jamais, elle n’avait eu à se plaindre de lui ou plutôt de son travail. Elle avait été assez réticente la première fois qu’elle l’avait rencontré, son physique n’était pas ce à quoi elle s’attendait, il était même assez maigrichon… mais il était d’un sadisme comme elle les aimait et surtout, c’était un mangemort. Ces facteurs avaient joué en sa faveur et elle ne regrettait en rien de l’avoir embauché cette fois, ni les fois d’après. Elle le tendit le journal dans lequel posait fièrement sa future victime et expliqua ce qu’elle attendait de lui.

Evangeline : « Il essaie de me doubler, il doit payer… Je laisse libre court à ton imagination, assure toi simplement qu’il ne meurt pas. Je veux qu’il vive et qu’il sache ce à quoi s’attendre lorsque l’on me trahi. Assure toi qu’on ne pourra pas remonter jusqu’à moi, comme d’habitude… Il a une femme et une gamine de neuf ans, fais-en ce que tu veux ça m’est égal. »

Un sourire étira les lèvres d’Evangeline. Elle savait que Luke prendrait grand plaisir dans ce travail et qu’il s’amuserait sûrement beaucoup…