Les années passées à Sainte-Mangouste furent les pires années de ma vie. L'on aurait pu m'envoyer au bagne, ou même sous le joug des mangemorts, je n'en aurai été que moins torturée. Il n'y a pas pire lieu qu'un hopital pour sentir l'odeur de la mort. Et ils étaient partout. Je les entendais gémir, je les voyais me suivre, j'en devenais folle et m'effondrai tous les jours en pleurs dans mon lit. Bien vite on me mata aux calmants, et leurs drogues m'assomèrent sagement. Mon regard était vide, je refusais de parler, du moins je ne parlais lorsque nécessaire. Ma sortie de Sainte-Mangouste fut une libération, je pouvais vivre. Du moins le croyais-je à l'époque. Car j'ignorai encore, que la cruauté des adolescents était bien plus poignante qu'un gémissement étouffé.

Extrait du journal de Kalliope.



K. ~ Pourquoi l'as-tu dit à tout le monde.

La jeune fille ne quittait plus son amie des yeux, le regard triste, la mine effondrée, le teint blême. Face à elle, Aglae rayonnait, arborant alors le plus vil des sourires, se râclant la gorge comme une princesse annonce un ordre sur un toussotement. Les yeux émeraude d'Aglae glissèrent sur un point invisible par dessus l'épaule de Kalliope, et cette dernière se retourna, apercevant à quelques mètres une bande d'adolescents pouffant de rire. Sa gorge se serra, son regard se baissa, avant de remonter avec colère sur le visage de la belle brune. Cette dernière haussa les épaules, visiblement ravie d'avoir ébruité le secret de la jeune blonde.

K. ~ Je croyais que nous étions amies.
Aglae ~ Mais nous SOMMES amies, darling. C'est pour cela que j'ai préféré faire savoir à tout le monde que tu n'avais plus toute ta tête. Tu auras un peu plus de compassion encore, tu verras.

La belle brune qu'elle considérait quelques secondes auparavant comme une amie proche, et qui aujourd'hui prenait des airs de harpies, arbora une moue hypocrite et surjouée de tristesse, avant de poser sa main fine sur celle de Kalliope. Gorge nouée, cette dernière la retira brutalement, se levant alors non sans avoir ce regard embué. Pour un peu de popularité, Aglae avait vendu la mèche à leurs camarades. L'assurance de la folie de Kalliope, faisait de la belle brune le centre d'intérêt de tous, car elle connaissait l'étrange blonde si bien, et depuis si longtemps, que le moindre mot s'échappant de ses lèvres devenait vénération. Et les railleries coulant sur Kalliope s'intensifièrent. Est-ce vrai que tu parles toute seule ? ; Attention au pendu derrière toi ! ... Tant de moqueries acerbes empoignant son âme et son coeur, dans une torture indicible et souffreteuse. Les années passant, Kalliope apprit à demeurer indifférente, fière et droite afin de garder ne serait-ce que ce qu'il lui restait d'honneur. Les moqueries perdurèrent, car si les plus vieux élèves du château finissaient par s'en lasser, ils se faisaient une joie de passer le mot aux nouveaux arrivants, bien satisfaits d'avoir une tête de turc pour ne pas en être la cible. Les mots non di se muèrent en écrits ; journal, lettres, tout était bon à prendre pour la jeune Kalliope qui muait son malêtre en de divins poèmes, cachés à la vue de tous. Et pour ne pas affoler ses parents, elle leur faisait parvenir des missives teintées d'entrain et de gaieté, s'inventant des amis et des rires pour ne pas les inquiéter... Chaque semaine la même rengaine : une lettre écrite à sa mère, lui certifiant que tout allait bien. Par la plume hypocrite, elle démentait son coeur à l'agonie.

Une vie malsaine où elle s'évertuait à marcher tête baissée, et où pourtant la jeune blonde s'efforçait d'aller vers les gens, un divin sourire aux lèvres et un visage rayonnant. Mais on la repoussait, du moins la plupart de ses camarades ne désiraient être fichés en la compagnie de la jolie folle. Puis, sans doute le pire jour de sa vie vint alors ; on ne parlait plus que bal de Noël. Se voulant comme toutes les autres jeunes filles, Kalliope attendait l'évenement avec impatience, où elle pouvait arborer sa plus belle robe et enfin se sentir merveilleuse. Il attirait tous les regards, celui de la jeune blonde y compris, et bientot fut assailli de jeunes filles rêvant d'aller au bal à ses côtés. Dans un ultime acte désespéré et presque kamikaze, Kalliope se surprit d'aller le voir également, demandant avec gêne et sous le regard moqueur de ses rivales, s'il pouvait éventuellement être son cavalier pour ce soir là. La réponse fut sans appel.

Lui ~ Kalliope tu es douce, magnifique, intelligente... Tant de compliments firent rougir la belle qui baissa le regard non sans un sourire. En plus tu as un sourire divin. Mais...
K. ~ Mais tu ne peux pas...
Lui ~ Je suis désolé.
K. ~ Non t'en fais pas. Ca.. Ca ira. De toutes façons je ne sais même pas pourquoi je te l'ai demandé. Je suis nulle en danse. Et les bals, c'est pas mon truc.

Haussement d'épaules sous le regard gêné du beau jeune homme, qu'elle se sentait idiote avec ses excuses absurdes. Kalliope lui offrit un sourire qui sonnait faux, avant de tourner les talons. Inutile de se répendre en excuses, elle avait compris depuis longtemps qu'il lui fallait au plus vite sortir d'ici, pour enfin être vue normalement... Peut-être.