« NOUSCKA ! TU VAS TE FAIRE DESCENDRE ! »
« Bwerani, appelle Marea. Cassez-vous vite ! »
« Nouscka ... »
« Fais-le, putain ! »

Bwerani regarda son ami, incapable de l'arrêter. Le médecin, les yeux fermés, entendit le bruit caractéristique d'une mitraillette qu'on enclenche. Il savait que Nouscka était incontrôlable, les ordres n'avaient aucun effet sur lui. Quand le Russe était arrivé au dispensaire il y a six mois, il l'avait pris pour un Blanc arrogant, ici pour se donner une bonne conscience et se faire un CV. Mais Bwerani avait dû admettre qu'il s'était trompé. Nouscka n'était pas comme ça. Certes, il était arrogant, il avait une fierté incroyable, mais il était là parce qu'il connaissait les blessures de la guerre. Il ne parlait jamais de son passé, mais Bwerani devinait qu'il avait dû endurer des choses horribles pour avoir ce regard aussi terrible. Bwerani rouvrit les yeux. Il devait sauver les enfants.

Nouscka, lui, était dehors. Il sentait sa baguette dans sa poche, la baguette que lui avait fabriqué Salim. Mais il ne se servirait de la magie qu'en derniers recours. Pour l'instant, il avait sa mitraillette et le constat amer qu'il avait échoué : il était venu ici pour trouver une rédemption, et finalement, la Mort le rattrapait toujours. A croire qu'il y était totalement destiné. La mort avait jalonné sa vie : sa mère, son père, ses amis ... Toutes ces épreuves lui avaient forgé un caractère d'acier. Nouscka était devenu un homme vite, très vite. Bien qu'il soit jeune, il en savait beaucoup sur les hommes et les atrocités dont ils étaient capables, le plaisir qu'ils prenaient à tuer et à torturer. Il en avait fait l'expérience. Il aurait aimé ne pas faire subir ça à d'autres hommes. Mais il y était obligé ; le destin, la fatalité était contre lui. Et Nouscka savait qu'on ne pouvait lutter contre ces Lois.

Le sol aride et brûlé tremblait sous lui. Il entendait au loin le vrombissement d'un tout-terrain, et il savait que c'était pour tuer, pour piller, pour terroriser, qu'ils venaient. Ces rebelles enrôlaient les gamins pour qu'ils deviennent soldats de leur cause. Nouscka ne les laisserait pas faire. Lui aussi, trop tôt, avait été soldat sans le vouloir, il avait été embrigadé dans des idées qui lui avaient fait perdre beaucoup. Une image fugace lui traversa l'esprit, celui d'une jeune fille au sourire éclatant, qui disparut très vite. Le vrombissement se rapprochait de plus en plus. Nouscka arma sa mitraillette. Bientôt, les balles fuseraient, des hommes seraient à terre et le sang abreuverait le sol sec et mort. Mais rien ne pousse d'une terre qui a été nourrie de cadavres.

Ca y est, il pouvait le tout-terrain. Ils étaient cinq ou six, pas plus, mais c'était suffisant pour mettre le petit dispensaire à feu à et à sang. Nouscka se tint prêt. Il eut une pensée pour Bwerani, qui devait se cacher dans les abris sous-terrains, sûrement en train d'essayer de rassurer les enfants. Il devait faire une chaleur étouffante dans ces abris. Alors, il fallait vite que ça finisse. Très vite. Les rebelles avaient déjà sorti leurs fusils, mais Nouscka fut plus rapide, il tira deux gerbes de balles, en atteignant deux au passage. Plus que trois. Leur rage devait être décuplée, leur haine, leur soif de sang aussi.

Nouscka ferma les yeux, demandant pardon pour ce qu'il avait fait et ce qu'il s'apprêtait à faire. Mais il n'avait pas le choix. « On a toujours le choix », c'était des foutaises. Il fallait prendre des décisions, même les plus horribles. C'était sa vie ou la leur. L'humain ne veut pas mourir tant qu'il est conscient ; même si sa vie est des plus mornes, il voudra vivre. Nouscka n'avait pas une belle vie, mais il ne voulait pas mourir. Alors, il arma une seconde fois sa mitraillette. Deux hommes se dirigeaient vers lui. Seulement deux ? Où étaient les autres ? Le vrombissement du tout-terrain continuait ; les deux hommes allaient prendre le dispensaire par derrière ! Merde ! Nouscka n'avait pas pensé à ça.

« BWERANI ! »

Un hurlement vain, mais Nouscka n'avait pas pu le retenir. Son ami allait à la mort, tout comme les enfants. Vite ... Abattre ces deux-là. Nouscka tira, mais rata son coup. Il sentit les balles fuser autour de lui. Nouscka sentait la rage l'envahir, et pourtant, c'était très rare. Lui qui était si calme normalement ... Ses mains tremblaient. Il lâcha l'arme, la jetant violemment à terre. La peur avait envahi Nouscka, qui saisit sa baguette et la pointa vers les deux hommes qui continuaient de tirer. Il entendit leurs rires. Sans doute pensaient-ils qu'il était fou ... Si seulement ils avaient su le sort que leur réservait Nouscka, ils auraient plutôt prié.

« SECTUMSEMPRA ! »

Le sort atteint le premier homme, qui hurla de douleur. Des entailles lui lacérèrent le corps, et il s'effondra dans une mare de sang, qui coula entre les sillons de la terre craquelée. Le sort avait été d'une rare violence. L'autre homme resta d'abord muet, puis poussa un hurlement. Mais un éclair vert fusa, et il s'effondra lui aussi aux côtés de son acolyte.

Nouscka sentit alors une douleur lancinante à l'épaule ; la colère avait occulté la souffrance d'une balle. Son épaule le faisait affreusement souffrir. Mais il n'avait pas le temps de s'en occuper. Bwerani et les enfants étaient toujours dans le dispensaire, avec les deux hommes armés jusqu'aux dents. D'ailleurs, Nouscka entendait de légers cris ... Ignorant le sang qui coulait le long de son épaule, il courut vers le dispensaire, tout en sachant au fond de lui que c'était trop tard. Trop tard, trop tard. Il avait échoué. Pourtant, il courait toujours. Il entra dans le dispensaire, courant jusqu'à l'abri souterrain qui se trouvait sous la table de la cuisine, caché par un tapis. Il avait été construit par Bwerani, en prévision d'une attaque ... Mais c'était trop tard, trop tard. Les rebelles savaient tout ça, ils venaient eux-mêmes de ce genre de dispensaire.

La cuisine était pleine de sang, et les rebelles s'y tenaient, menaçant de leurs armes les enfants qu'ils n'avaient pas exécutés. Nouscka se stoppa dans l'encadrure de la porte, et ne réfléchit pas. L'éclair vert fusa en même temps que les balles.




« Nom et prénom ? »
« Nouscka Vanna Syl. »
« Age ? »
« 21 ans. »
« Nationalité ? »
« Russe. J'ai un permis de séjour depuis mes onze ans. »
« Très bien. C'était juste des formalités. Vous avez eu ... un comportement, disons, rebelle, Vanna Syl. Mais vous avez toujours été excellent. C'est pour cela que nous vous acceptons, à l'essai -ne l'oubliez pas-, en formation chez les Aurors. »
« Merci, monsieur. »

Nouscka sortit du bureau des Acceptations de Stage, et quitta la Ministère. Voilà quatre semaines qu'il était revenu du Sierra Leone. Il savait que ces images resteraient gravées ... Les balles dans sa peau avaient laissé des traces aussi. C'était un miracle qu'il ait pu s'en sortir, mais il l'avait fait ... Le jeune homme rentra chez lui, dans le petit appartement qu'il avait acheté peu avant son départ en Afrique. Il s'effondra sur son lit, regardant fixement le plafond blanc. Il ressentait encore sur son corps la brûlure des balles le frôlant ou l'atteignant. Il avait des scènes d'horreur plein la tête. Nouscka ferma les yeux, puis les rouvrit. Il se leva, et attrapa son téléphone, composant un numéro. Ca sonna, puis on décrocha au bout du fil.

« Allô, Misha ? C'est Nouscka. Je suis revenu. »